Vitesse et portraits

Le portrait est pour moi le plus difficile exercice en matière de dessin. Ce n’est pas la ressemblance relative que je cherche. Je voudrais que l’on dise « mais c’est elle ! (ou lui) ». Que tout l’être soit contenu dans quelques traits.

Je suis beaucoup intervenu dans des écoles primaires (6-12 ans), pour les éduquer à la perspective. En disposant les enfants à différentes distances, je faisais observer la taille toujours plus petite dans l’œil, à mesure que l’enfant était loin.

La vitesse du portrait est nécessaire pour rester vivant, vrai. La pose du regardé doit être naturelle.

Et pour bien expliquer le phénomène optique, je dessinais la scène observée. Je n’avais donc pas à faire des portraits proprement dit. C’est ainsi que parfois, à mon insu, c’était l’enfant qui était là, advenu sur le papier. L’un des premiers s’appelait Gérard. Timide, effacé, doux et calme, la tête légèrement baissée. J’avais sans le vouloir rendu tout cela en quelques secondes. Et quand je montrais aux enfants sur le papier « regardez, Gérard est là… » j’étais très surpris, troublé même. La transmutation avait eu lieu !

Il y a donc une question de dispositif. De même je ne chante pas de la même manière seul dans ma salle de bain, ou sur scène, face à un nombreux public exigeant… Créer le dispositif est le préalable, et également très difficile, puisqu’il va définir une relation, entre au moins deux personnes, où chacun tiendra un rôle. Et la meilleure manière de tenir son rôle, est parfois de ne pas le connaître… oui, il y a un peu d’instrumentalisation. Mais c’est aussi soi-même « dessinant » qu’il faut mettre en péril, qu’il faut engager dans un processus d’urgence, menacer presque. C’est inventer le dispositif équivalent au skieur qui s’élance sur la piste. Et là, tout joue : l’outil (stylo ? feutres ? crayon ? ce qui passe sous la main ?…), support (au tableau effaçable ? sur une feuille ? qui gardera le croquis, le dessin ? … un support seulement mental ?… je dessinerai la prochaine fois…), quelle relation, contrat, convention avec le « dessiné » ? le sait-il ? que sait-il ? qu’attend-il ? et encore, la durée, l’enjeu, les dangers… bien plus qu’une main contrôlée par un oeil dans un milieu indifférent.  Pour le dire vite : je cherche la vérité, et la vérité est aussi dans la vérité de sa recherche même… on comprendra que je préfère dessiner, pour moi plus aisé que pousser cette recherche philosophiquement. Et pourtant déjà très dur.

L’Architecture, le Nu, le Chat, la Fleur ont été pour moi des marches heureuses souvent, dans de belles contrées, au soleil, une brise agréable, mais le Portrait ! c’est l’Eiger… Et cette ascension commence bien avant le premier trait.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Eiger

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